Pour sa quatrième édition, le festival littéraire, nomade et participatif L’Origine des Mondes, fondé et animé par la romancière lilloise Samira El Ayachi, investit les quartiers sud de la Métropole Européenne de Lille du 9 au 22 juin 2025. Avec cette manifestation gratuite et 100% inclusive, l’autrice de récits forts et engagés comme Les Femmes sont occupées (2019) et Le Ventre des hommes (2021) veut "donner le goût de la lecture à toutes et à tous, avec depuis toujours, une attention particulière pour les non-initié.es." Explications.
Quel est l’esprit du festival littéraire L’Origine des Mondes que vous avez fondé ?
Samira El Ayachi : L’Origine des Mondes est un festival nomade qui place la littérature au cœur des quartiers populaires. Chaque édition part d’un besoin vital : comprendre le monde grâce à la littérature, relier, réparer. Le festival tisse des ponts entre les écrivains·e·s et les publics, entre les textes et les territoires, entre l’intime et le politique. Il ne s’agit pas seulement de célébrer les livres, mais de les activer comme des puissances de transformation, des outils pour penser le monde, le soigner, parfois même pour survivre par temps de chaos. Ce festival est participatif, avec des tas d’amis et d’acteurs du monde de l’éducation, de la santé, de la culture, on rêve toutes les étapes ensemble ! C’est aussi un festival hyper joyeux, avec des auteurs et autrices qui nous aident à penser le monde mais aussi des concerts, des karaokés et de la danse. J’aime le collectif, et par exemple, on fabrique la programmation ensemble, ça fait des années que le comité de pilotage veut inviter Yasmina Khadra ; "prochaine édition", m’a-t-il dit. Cette année, au tour de Tahar Ben Jelloun, et plus de 40 autres invités. Finalement, ce festival est imaginé comme un rituel, un moment qui annule toutes les représentations que l’on peut avoir de l’autre. Un moment de pensée, de joie, avec clairement une programmation qui met en lumière des voix méditerranéennes et du monde arabe mais aussi les auteurs du Nord auprès desquels je m’inscris, comme cette année avec Lectures au soleil en compagnie de Thomas Suel.
À qui s’adresse-t-il ?
Samira El Ayachi : À tout le monde. Aux lecteurs aguerris comme à ceux qui n’osent pas pousser la porte d’une librairie. Aux ados en colère, aux adultes qui cherchent du sens. Le festival est pensé pour créer des croisements : entre générations, quartiers, disciplines. Mais avec une attention particulière aux personnes qui pensent que la lecture n’est pas pour eux, qui ont oublié à quel point les livres les aiment encore. Pour ces publics là que je rencontre dans les maisons de quartier, les collèges, on mène des ateliers d’amour de la lecture, on se souvient, qu’on a toujours aimé lire. C’est beau de voir des gens des quartiers populaires rencontrer de grands auteurs dans leur quartier, ou que les publics du centre se dirigent vers la périphérie pour de la littérature ! Je pense à la soirée "Faubourg mon Amour", le jeudi 12 juin, où les mamans du quartier Faubourg de Béthune à Lille assurent la modération, qui promet d’être forte et inoubliable !
Dans l’édito du programme, vous parlez de votre souhait "d’apprivoiser la lecture quand elle nous intimide". Qu’entendez-vous par là ?
Samira El Ayachi : La lecture peut faire peur. Elle peut paraître inaccessible, surtout quand on n’a pas grandi avec des livres. Je le sais, je l’ai vécu. Apprivoiser la lecture, c’est construire des chemins sensibles vers elle : par la voix, par la rencontre, par le lien humain. Il ne s’agit pas d’imposer, mais d’accompagner. De faire en sorte que chacun puisse dire : "ce texte me parle, ce livre me regarde".
Le titre de l’édition 2025 est : Ubuntu, un concept africain qui évoque l’ouverture à l’Autre, le collectif, la partage… En quoi cela a-t-il guidé la programmation de cette 4e édition ?
Samira El Ayachi : Ubuntu signifie "je suis parce que nous sommes". C’est une philosophie profondément anticoloniale, humaniste et joyeuse. Elle nous invite à repenser notre rapport aux autres, au vivant, à la communauté. Dans cette édition, les voix invitées portent cette idée d’interdépendance : des récits de filiation, de soin, de solidarité, de réparation. Nous avons aussi donné une large place aux traductions, aux langues, aux circulations culturelles. Ubuntu est le fil rouge, mais aussi la boussole.
Quelles sont les missions de l’association lilloise Mademoiselle S. que vous avez créée, nommée ainsi en référence au personnage principal de votre premier roman, La vie rêvée de Mademoiselle S. (Sarbacane, 2007), et qui organise le festival ?
Samira El Ayachi : Mademoiselle S. est née d’un désir : celui de rendre la littérature active, incarnée, citoyenne. L’association agit pour la démocratisation culturelle, le décloisonnement des pratiques artistiques et l’émancipation des voix invisibilisées. Elle porte le festival, mais aussi des résidences, des ateliers, des projets de territoire. Le nom, emprunté à mon premier personnage de roman, est une manière de dire que la fiction, chez nous, marche dans la rue.
Le festival a comme partenaires plusieurs médiathèques de la métropole lilloise (Lille-Sud, Hellemmes, Tourcoing…). Qu’est-ce que ces lieux culturels et citoyens représentent-ils pour l’autrice et la lectrice que vous êtes ?
Samira El Ayachi : Les médiathèques sont des lieux essentiels. Ce sont des refuges, des foyers, des tremplins. J’ai grandi avec l’idée que la bibliothèque était une maison commune, un endroit où l’on pouvait rêver sans payer. Travailler avec ces structures, c’est renouer avec cet idéal. Ce sont aussi des lieux de rencontre incroyables, où les mots circulent autrement, où les silences eux-mêmes ont du sens. Des lieux à désacraliser aussi : on y danse, on y chante, on y lit bien sûr.
Organiser un festival littéraire de cette ampleur est chronophage. Avez-vous encore le temps d’écrire ? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet de livre sur lequel vous travaillez en ce moment ?
Samira El Ayachi : Écrire reste mon socle, même si le temps se fait rare, en effet. Avec plus de moyens pour ce festival, j’arriverai à concilier les deux, assurément. Je reprends l’écriture de ce qui sera mon cinquième roman dès l’été, juste après le festival. Il parlera, je pense, d’amour et d’amitié, what else ? Et posera cette question : comment tenir les uns pour les autres, dans un monde abîmé ? C’est lent, mais c’est vivant.
Propos recueillis par Achmy Halley, "Monsieur Vie Littéraire" de la Médiathèque départementale du Nord.

L’Origine des Mondes : demandez le programme !
Rencontres, lectures, tables rondes, débats, musique, promenades et goûters littéraires chez l’habitant, ateliers d’écriture, poésie, slam, karaoké… il y en aura pour tous les goûts et toutes les saveurs. Du 9 au 22 juin 2025, la métropole lilloise vit au rythme des mots, des rythmes, des couleurs, du partage citoyen et du dialogue interculturel autour d’un thème fédérateur et inclusif : "Ubuntu, je suis donc nous sommes". L’occasion de rencontrer et de dialoguer avec une quarantaine d’artistes dont une ribambelle d’autrices et d’écrivains de premier plan ou à découvrir : Tahar Ben Jelloun, Rim Battal, Mathieu Palain, Laurence Tardieu, Karim Kattan, Abdelkrim Saïfi, Marc-Alexandre Oho- Bambe, Samira El Ayachi… et bien d’autres.
Retrouvez le programme complet du Festival L’Origine des Mondes 2025 sur : loriginedesmondes.com
Retrouvez les livres de Samira El Ayachi dans les collections de la Médiathèque départementale du Nord.