Frontières réelles, barricades intérieures, lignes de fuite, barrières des genres, horizons sans fin, murs infranchissables, mots sans frontières. À l’occasion du 25e Printemps des Poètes (11-27 mars 2023) qui interroge la notion de frontière, la Médiathèque départementale du Nord propose une sélection de 7 livres de poésie autour de ce thème.
Thierry RENARD, Bruno DOUCEY
Frontières : petit atlas poétique
Éditions Bruno Doucey, 2023. - (Tissages)
20 Euros
Les vers de Bernard Lavilliers qui ouvrent cette anthologie thématique publiée à l’occasion du Printemps des Poètes 2023 donnent le ton du volume : Reste dans ton rêve, c’est peut-être mieux / Mais le jour se lève et en plein milieu / Il y a la frontière. […] Où est la frontière ? / Pour qui la frontière ? / C’est loin la frontière ? / Pourquoi la frontière ? /... C’est à toutes ces questions que tentent de répondre les 112 « passeurs de frontières et guetteurs de nuages » judicieusement sélectionnés par Thierry Renard et Bruno Doucey. Afrique, Corée, Ukraine, Palestine… les auteurs dessinent des territoires géopolitiques et poétiques ouvrant sur de nouveaux horizons. Mêlant auteurs et autrices d’ici et d’ailleurs mais aussi d’hier (Pablo Neruda, Yannis Ritsos, Jacques Lacarrière…) et d’aujourd’hui (Olivier Adam, Margaret Atwood, Jeanne Benameur, Hélène Dorion…), ce petit atlas poétique abolit les frontières du temps, des langues, des cultures et de l’espace, un excellent remède « en ces temps de replis identitaires, de peur de l’autre, de crise de confiance en l’avenir », comme l’espère Bruno Doucey dans l’avant-propos.
Jean-Yves REUZEAU
Ces mots traversent les frontières : 111 poètes d’aujourd’hui
Le Castor Astral, 2023. - (Poésie)
18 Euros
Autre anthologie éditée pour accompagner l’éclosion du Printemps des Poètes 2023, Ces mots traversent les frontières dont le titre résonne comme un slogan, propose une riche moisson de 111 poètes francophones d’aujourd’hui qui interrogent « les bornes du langage » et tentent de franchir « toutes sortes de frontières extérieures et intérieures, sociales, mentales, corporelles, imaginaires… », comme le précise dans sa préface Jean-Yves Reuzeau qui considère que la poésie est toujours aussi nécessaire, « espace de liberté à préserver ou à conquérir. À partager surtout ». Ses choix sont éclectiques et enthousiasmants : de CharlÉlie Couture à Cécile Coulon, de l’oulipien Jacques Roubaud aux méditerranéens Tahar Ben Jelloun et Vénus Khoury-Ghata en passant par le poète équestre Bartabas, Blandine Rinkel et la papesse de la poésie québécoise contemporaine, Nicole Brossard. Bien au-delà des frontières géographiques, ces poèmes interrogent aussi le « mur du moi » auquel il est si difficile d’échapper. Hervé Le Tellier, Prix Goncourt 2020, y parvient avec brio dans un beau texte inédit autour du mot étranger car, comme il l’écrit, « Préserver de l’étranger en nous, c’est peut-être le secret ».
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Silvia BARON SUPERVIELLE
En marge : poèmes choisis
Éditions Points, 2020. - (Points Poésie)
9,90 Euros
Encore une anthologie mais d’un tout autre genre. En marge propose un choix de poèmes de l’écrivaine franco-argentine Silvia Baron Supervielle, grand nom de la poésie contemporaine francophone. Le titre, modeste, qu’elle a choisi dit tout de cette amoureuse des mots, amie et traductrice de Jorge Luis Borges et de Marguerite Yourcenar, qui préfère se tenir à l’écart des autoroutes littéraires trop balisées pour emprunter, plus discrètement, les chemins buissonniers du Verbe. Sa poésie se situe à la frontière de la prose et du vers, des rives du Rio de la Plata de son enfance argentine à la Seine qui coule sous ses fenêtres, sur l’île Saint-Louis, à Paris où elle a débarqué en 1961, de l’espagnol natal au français choisi, à l’instar d’un Beckett ou d’un Hector Bianciotti, son compatriote et ami. Comme le souligne dans sa préface, René de Ceccatty qui accompagne depuis des années « son voyage constant, que ne limite aucune frontière, […] Silvia Baron Supervielle n’appartient à aucune nation, à aucune langue non plus. Son seul pays, l’a-t-elle assez répété, est celui de l’écriture. »
Tanella BONI
Insoutenable frontière
Éditions Bruno Doucey, 2022. - (L'autre langue)
15 Euros
Pour la poète, romancière et philosophe ivoirienne Tanella Boni, l’idée de frontière est insoutenable. Sa poésie parcourt le monde En vers libres et mots inédits / Hors des territoires occupés / Et des places réservées /… Frontières de la couleur de la peau, des mers inhospitalières, des territoires interdits, frontières hérissées de murs et de barbelés, frontières politiques et mentales qu’elle traverse avec calme et détermination : Toi qui aimes l’eau sans espoir et sans parole / Qui traverse les champs et les bois / Rappelle-toi les visages d’humains en joie / Qui relient ton histoire à celle du monde / Protecteur de frontières multiples / Et bâtisseur de murs pour demain / Son chant fredonne aussi l’espérance d’une fraternité et d’une sororité pour retisser ensemble « le tissu du monde » : Tu ne marches jamais seule / Tu es la somme de tes diversités / Et personne ne devine la densité /Du vrai visage sous le masque / Que tu portes depuis toujours.
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Charles DANTZIG
Genre : fluide
Éditions Points, 2022. - (Points Poésie)
9,40 Euros
Refusant les frontières biologiques réputées étanches séparant les sexes dans l’Ancien Monde, le poète-dandy Charles Dantzig signe avec Genre : fluide un manifeste poétique bien dans l’air du temps. Comme il l’annonce dans Les métamorphoses contre le moi, texte programmatique qui ouvre le recueil, ses poèmes non rimés de formes fixes sont « faits pour donner l’impression d’une écharpe en soie qui a passé. Un mouvement, une image, l’aperçu vers ce que l’auteur pense de plus grave ». Le livre est un éloge d’une certaine jeunesse d’aujourd’hui, « garçonsfilles, fillesgarçons, de sexualités indifférentes, vivant tous ensemble sans complication » en quête du « bonheur d’être plusieurs » tel la figure centrale et dégenrée, désirée-désirante du livre, cet.te Édouard-Édouardine, « mi-songe mi garçon », auquel l’auteur adresse son chant d’amour et d’humour homo-érotique : Édouard, t’imaginer en femme n’a aucune importance. Si ça t’amuse, allège ton imagination, enfin, te fait plaisir, qui te jugera là-dessus ? […] L’unité était faite. Tu dors, Édouard. Édouard dort et Édouardine.
Mélanie LEBLANC
Le manifeste du nous
Les Venterniers, 2022
7 Euros
Les frontières et leurs divisions arbitraires, parfois funestes, n’ont pas de place dans Le Manifeste du Nous, beau chant de la terre, du ciel et de l’humain, de la poète et performeuse Mélanie Leblanc à la gloire de cette « Tribu des Grands Vivants » qui se proclame unie en ce Nous inclusif qui affirme : « Le temps de la séparation est terminé ». En une vingtaine de poèmes rythmés qui invitent à la lecture à haute voix, l’autrice invente « une nouvelle manière de considérer et de vivre le Nous, un Nous qui nous relie dans notre humanité », au-delà des clivages politiques, sociétaux, de genre et d’espace : Nous sommes le peuple de la terre et des étoiles / le peuple libre […] Nous ne rêvons pas le monde / Nous le vivons / Nous avons repris confiance / Nous ne doutons plus de notre puissance / Nous sommes le peuple debout… Une invitation vivifiante à avancer ensemble en douceur (« Nous puise sa force dans sa douceur ») , mouvement physique, mental, spirituel et cosmique vers un Nous commun en germe au cœur du livre de Mélanie Leblanc.
Sophie NAULEAU
Des frontières et des jours
Actes Sud, 2023. - (Arts)
13 Euros
Les frontières dont il est question dans le titre du livre que la directrice artistique du Printemps des poètes vient de publier sont multiples et voyageuses. En courts chapitres mêlant souvenirs, réflexions, moments historiques et références littéraires (Apollinaire, Max Jacob, Cavafy…), Sophie Nauleau marie l’intime à la géographie (Marseille, La Havre, Berlin…) en s’attaquant « tout autant aux barricades de l’être qu’aux barrières de la terre ferme ». Les premières frontières infranchissables sont celles de l’enfance comme l’écrit le poète syrien Adonis qu’elle cite : Ton enfance est un petit village / Mais tu ne dépasseras jamais / ses frontières / si loin que tu puisses aller… La famille, la prison, la mort, les fleuves, les montagnes… sont autant de basiles-étapes dans ce périple poétique au cours duquel l’autrice joue à saute-frontières en une myriade d’images-poèmes parfois troublantes. Comme celle de la photo de couverture du livre signée JR, représentant une frêle ballerine assise au bord d’un conteneur dans le port du Havre qui rappelle à Sophie Nauleau, un autre cliché célèbre et singulier. Celui de Marilyn en jupon de tulle et satin blanc, photographiée dans son intense vulnérabilité radieuse à New York, en 1954, lui inspirant une émouvante réflexion sur le « brûlant mystère Monroe », le destin tragique de la star et les frontières de la mort.